Little miss sunshine
Réalisation
Jonathan Dayton & Valerie Faris
Acteurs
Abigail Bresgin, Greg Kinnear, Toni Collette, Steve Carell
Le film
Le père de la famille Hoover, Richard (Greg Kinnear), coach incorrigiblement optimiste, tente désespérément de vendre son « Parcours vers le succès en 9 étapes », sans grand succès, hélas. La mère Sheryl (Toni Collette), à la morale rigoureuse, est constamment mise à l’épreuve par sa famille dont elle tente de dissimuler les travers, en particulier ceux de son frère (Steve Carell), spécialiste de Proust, suicidaire fraîchement sorti de l’hôpital après avoir été congédié par son amant. Les enfants Hoover ne sont pas non plus dépourvus de rêves improbables : la fille de 7 ans, Olive (Abigail Breslin), binoclarde un peu enrobée, se rêve en reine de beauté, tandis que Dwayne (Paul Dano), son agressif de frère, grand lecteur de Nietzsche, a fait vœu de silence jusqu’à son entrée à l’Air Force Academy. Pour couronner le tout, le grand-père (Alan Arkin), hédoniste à la langue bien pendue, vient de se faire virer de la maison de retraite pour avoir sniffé de l’héroïne.
Les Hoover ont beau ne pas incarner un modèle de famille équilibrée, quand Olive décroche par chance une invitation à concourir pour le titre très sélectif de Little Miss Sunshine, toute la famille fait cependant corps derrière elle. Les voilà donc entassés dans leur break Volkswagen rouillé : ils mettent le cap vers l’ouest et entament un voyage tragi-comique de trois jours qui les mettra aux prises avec des événements inattendus, tandis que les débuts d’Olive vont bouleverser cette famille farfelue à un point que personne ne peut soupçonner…
Grâce à un scénario qui donne la part belle à ses personnages et aux dialogues jouissifs, les deux réalisateurs réussissent à nous livrer une comédie irrésistible, drôle, hilarante même. Sans jamais forcer le style et le trait, leur réalisation sonne incroyablement juste. Il faut dire qu’ils ont été bénis des dieux en réunissant un tel casting. Bien entendu, Greg Kinnear, Steve Carell et Toni Colette dont la force comique n’est plus à démontrer, sont comme des poissons dans l’eau. On est soufflé en découvrant les performances de Paul Dano, l’adolescent ayant fait vœu de silence jusqu’à son entrée dans l’armée de l’air, et Abigail Breslin, petite fille délurée vivant sur la planète Miss.
Les critiques
« Premier film du tandem formé par Jonathan Dayton et Valerie Faris, Little Miss Sunshine pouvait apparaître sur le papier comme une comédie indépendante sans grande originalité et aux personnages stéréotypés : un père qui essaie d’inculquer à sa famille son modèle du parfait petit winner, une mère débordée par les événements, un fils aîné rebelle et jusqu’au-boutiste, un grand-père cocaïnomane, un oncle homosexuel et suicidaire et, la cadette un peu boulotte qui embarque toute sa clique sur les routes du pays afin de participer à un concours de mini-miss. Mais voilà, « Little Miss Sunshine » est loin de ce qu’on a déjà vu, loin des sentiers battus et rebattus. »
« D’une contrainte sévère et humiliante (n’avoir même pas un véhicule en état de marche comme tout Américain), découle une dynamique, un mouvement, une joie à être ensemble que nul chez les Hoover n’avait vu venir. Là réside l’aimable philosophie du film : le chaos peut tourner à la fête et la désunion faire la force. Rien ne va, et soudain, tout roule. » (Télérama) MP
Les plages d’agnes
Réalisation
Agnès Varda
Acteurs
Agnès Varda, Jane Birkin, Yolande Moreau
Le film
« Si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages. Moi, si on m’ouvrait, on trouverait des plages. » (Agnès Varda).
Guidée par cette citation-programme, Agnès Varda explore son autobiographie à travers les plages qui ont jalonné sa vie. Les plages, c’est-à-dire les lieux, les rencontres, les gens. Du haut de ses huitante ans, la réalisatrice revisite une vie consacrée au cinéma (qu’elle définit comme « une lumière retenue par des images »), à l’art, à l’engagement, à l’amour, avec une fraîcheur et une malice réjouissante. Déployant le miroir à facettes d’une existence multiple, Les plages d’Agnès mêle souvenirs et extraits de films, de la Belgique (où Agnès Varda est née) à la Californie (où elle a travaillé), de l’île de Noirmoutier à Sète… Au fil du film on croise Gérard Philipe, Jean-Luc Godard, Harrison Ford, Fidel Castro, Jim Morrison, tant d’autres et Jacques Demy, l’homme de sa vie, tous réunis par ce film et ses sables émouvants.
Film-puzzle, film-kaléidoscope, Les plages d’Agnès opère un convaincant patchwork de techniques artistiques (photographies, extraits de films, jeux de miroirs, digressions…), bric-à-brac de moments privilégiés, d’impressions, de souvenirs, d’émotions. Autobiographie d’Agnès Varda, mais peut-être aussi autobiographie de tout le monde, invitant chacun à revisiter ses souvenirs avec le même allant, le même enthousiasme que cette jeune femme octogénaire.
La réalisatrice
Agnès Varda, réalisatrice, photographe, plasticienne, est née en Belgique en 1928, Belgique qu’elle fuit en 1940 avec sa famille pour s’installer à Sète. Elle étudie plus tard la photographie à l’école des Beaux-Arts à Paris, avant de travailler comme photographe au Théâtre national populaire de Jean Vilar. C’est là, à Paris, qu’elle rencontrera son futur époux, Jacques Demy. Associée à la Nouvelle Vague, elle va s’imposer notamment comme une réalisatrice de documentaires novateurs (pionnière par exemple de l’utilisation du numérique), tournant en France, mais aussi aux Etats-Unis, affirmant un féminisme convaincu. Parmi ses films, citons La pointe courte (1955), Cléo de 5 à 7 (1962), L’une chante, l’autre pas (1977), Jacquot de Nantes (1991), Les glaneurs et la glaneuse (2000). Elle reçoit en 2009 le César du meilleur film documentaire pour Les plages d’Agnès.
Opinion
« Au bout du voyage, on est sans voix. D’émotion et d’admiration confondues. D’abord à cause du silence assourdissant de Demy et du courage qu’il aura fallu pour l’accepter. Mais surtout parce que ce parcours de cinéaste libre, se moquant des diktats du commerce et toujours en phase avec son temps, on voit bien en quoi il discrédite tous ces rêves de « grand cinéma » qui finissent le plus souvent avortés entre pubs, télévision ou série Z. Oui, Agnès Varda est grande, exemplaire même. Et ces Plages en sont la preuve définitive, qui voit son esprit conceptuel et son cœur généreux conspirer pour faire coïncider vie et cinéma en une maison qui serait à la fois refuge et aventure, fenêtre sur le monde et gouffre réflexif. Mais en aucun cas un mausolée. » (Norbert Creutz, Le Temps, 1er avril 2009). AB
Tulpan
Réalisation et scénario
Sergey Dvorstevoy
Acteurs
Askhat Kuchinchirekov, Samal Yeslyamova, Ondasyn Besikbasov, Bereke Turganbayev
Le film
Dans le cinéma chinois ou des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, le « film de steppes » est presque devenu un genre en soi : des yourtes, des bergers, des terres arides à perte de vue…Du Caucase en Mongolie, aussi grandioses que soient les paysages, il est surtout question de modes de vie traditionnels, villageois ou nomades, menacés par la vie moderne et la désertification, sans que le passage de l’ordre communiste au désordre libéral y ait changé grand-chose. Qu’ajouter, après tant de films réalisés depuis le début des années 1990 ? Un autre regard, répond Tulpan. En découvrant le héros imaginé par Sergey Dvortsevoy, on est agréablement surpris. Ayant accompli son service militaire dans la marine, le jeune Asa n’en est pas revenu avec le goût du large – prélude à tant de fables sur un mode de vie en voie de disparition. Hébergé pas sa sœur et son mari, avec leurs trois enfants, il rêve au contraire de se construire un « coin de paradis » dans la steppe. Une ambition presque incompréhensible vu la rudesse extrême de cette existence en marge du monde. Son ami Boni ne pense d’ailleurs qu’à rejoindre la ville, dont les signes se résument ici aux photos sur papier glacé des magazines (belles maisons, belles voitures, pin-ups aux bonnets D) et à Rivers of Babylone de Boney M, que celui-ci écoute en boucle sur son autoradio. Mais pour avoir droit à son troupeau, Asa doit d’abord se trouver une épouse. Et la seule candidate à des lieues à la ronde, nommée Tulpan, refuse même de se montrer à lui… sous prétexte qu’il a les oreilles décollées ! La « fiancée » rétive, que l’on ne verra donc jamais, ne veut en fait pas de cette vie-là. Ce n’est hélas pas le seul problème d’Asa, piètre berger que son beau-frère tient pour un grand gamin maladroit. D’un scénario aussi simple et d’un décor aussi aride, le cinéaste, formé à l’école du documentaire, a réussi à tirer un film étonnamment riche. Il ne se contente pas de prendre le thème de l’exode rural à contre-pied, il évite un autre écueil. Alors que les paysages majestueux de la steppe écrasent souvent les personnages, il remet le décor à sa place, sans pour autant le réduire à une toile de fond. Il n’y a donc pas de longues séquences contemplatives dans Tulpan ; la caméra est au contraire toujours en mouvement, portée à l’épaule et légèrement tremblotante même lorsque le plan se veut fixe, pour saisir une réalité mise en scène par un réalisateur resté documentariste dans l’âme, soucieux de capter l’énergie de la vie autant que de raconter sa dure réalité. Dvortsevoy capture au vol tout ce qui échappe aux prévisions d’un scénario : le naturel des acteurs (non-professionnels pour la plupart), les caprices du climat – la force du vent devient palpable lorsque son souffle assourdissant sature la bande-son – et les réactions des animaux (moutons, chèvres, vaches, ânes, chameaux, chiens, chats, etc.), bien plus nombreux que les hommes dans ces contrées inhospitalières. C’est ainsi qu’opère le charme sauvage de Tulpan.
Le réalisateur
Sergey Dvortsevoy naît en 1962 à Chimkent, au sud du Kazakhstan. Avant de s’orienter vers le cinéma, il suit en 1982, en Ukraine, une formation dans l’aviation civile et militaire. Il entre ensuite à l’Institut du cinéma de Moscou (VGIK), au département documentaire. En 1995, il réalise son film de diplôme, Chastie (Le Bonheur), découvert à Nyon, où il reçoit le Grand Prix Visions du Réel. Les deux documentaires qui suivent, Bread day réalisé en 1998, et Highway réalisé en 1999, confirment le talent du cinéaste en des films épurés et poétiques. Tulpan est son premier long métrage de fiction.
«Portée par le réalisateur-documentariste, la mise en scène de « Tulpan » est pur bonheur, les gestes sont justes et précis, les mots vrais et sincères, les mouvements lents et cahoteux. Comme la steppe ! » (Le Temps) PMP
Tulpan
Réalisation et scénario
Sergey Dvorstevoy
Acteurs
Askhat Kuchinchirekov, Samal Yeslyamova, Ondasyn Besikbasov, Bereke Turganbayev
Le film
Dans le cinéma chinois ou des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, le « film de steppes » est presque devenu un genre en soi : des yourtes, des bergers, des terres arides à perte de vue…Du Caucase en Mongolie, aussi grandioses que soient les paysages, il est surtout question de modes de vie traditionnels, villageois ou nomades, menacés par la vie moderne et la désertification, sans que le passage de l’ordre communiste au désordre libéral y ait changé grand-chose. Qu’ajouter, après tant de films réalisés depuis le début des années 1990 ? Un autre regard, répond Tulpan. En découvrant le héros imaginé par Sergey Dvortsevoy, on est agréablement surpris. Ayant accompli son service militaire dans la marine, le jeune Asa n’en est pas revenu avec le goût du large – prélude à tant de fables sur un mode de vie en voie de disparition. Hébergé pas sa sœur et son mari, avec leurs trois enfants, il rêve au contraire de se construire un « coin de paradis » dans la steppe. Une ambition presque incompréhensible vu la rudesse extrême de cette existence en marge du monde. Son ami Boni ne pense d’ailleurs qu’à rejoindre la ville, dont les signes se résument ici aux photos sur papier glacé des magazines (belles maisons, belles voitures, pin-ups aux bonnets D) et à Rivers of Babylone de Boney M, que celui-ci écoute en boucle sur son autoradio. Mais pour avoir droit à son troupeau, Asa doit d’abord se trouver une épouse. Et la seule candidate à des lieues à la ronde, nommée Tulpan, refuse même de se montrer à lui… sous prétexte qu’il a les oreilles décollées ! La « fiancée » rétive, que l’on ne verra donc jamais, ne veut en fait pas de cette vie-là. Ce n’est hélas pas le seul problème d’Asa, piètre berger que son beau-frère tient pour un grand gamin maladroit. D’un scénario aussi simple et d’un décor aussi aride, le cinéaste, formé à l’école du documentaire, a réussi à tirer un film étonnamment riche. Il ne se contente pas de prendre le thème de l’exode rural à contre-pied, il évite un autre écueil. Alors que les paysages majestueux de la steppe écrasent souvent les personnages, il remet le décor à sa place, sans pour autant le réduire à une toile de fond. Il n’y a donc pas de longues séquences contemplatives dans Tulpan ; la caméra est au contraire toujours en mouvement, portée à l’épaule et légèrement tremblotante même lorsque le plan se veut fixe, pour saisir une réalité mise en scène par un réalisateur resté documentariste dans l’âme, soucieux de capter l’énergie de la vie autant que de raconter sa dure réalité. Dvortsevoy capture au vol tout ce qui échappe aux prévisions d’un scénario : le naturel des acteurs (non-professionnels pour la plupart), les caprices du climat – la force du vent devient palpable lorsque son souffle assourdissant sature la bande-son – et les réactions des animaux (moutons, chèvres, vaches, ânes, chameaux, chiens, chats, etc.), bien plus nombreux que les hommes dans ces contrées inhospitalières. C’est ainsi qu’opère le charme sauvage de Tulpan.
Le réalisateur
Sergey Dvortsevoy naît en 1962 à Chimkent, au sud du Kazakhstan. Avant de s’orienter vers le cinéma, il suit en 1982, en Ukraine, une formation dans l’aviation civile et militaire. Il entre ensuite à l’Institut du cinéma de Moscou (VGIK), au département documentaire. En 1995, il réalise son film de diplôme, Chastie (Le Bonheur), découvert à Nyon, où il reçoit le Grand Prix Visions du Réel. Les deux documentaires qui suivent, Bread day réalisé en 1998, et Highway réalisé en 1999, confirment le talent du cinéaste en des films épurés et poétiques. Tulpan est son premier long métrage de fiction.
«Portée par le réalisateur-documentariste, la mise en scène de « Tulpan » est pur bonheur, les gestes sont justes et précis, les mots vrais et sincères, les mouvements lents et cahoteux. Comme la steppe ! » (Le Temps) PMP
La nuit de l’iguane
Réalisation
John Huston
Acteurs
Richard Burton, Ava Gardner, Deborah Kerr, Sue Lyon
Le film
Shannon, ex-prêtre déchu à la suite d’une affaire de moeurs, en lutte contre l’alcool, ses désirs, sa mauvaise réputation et ses tourments, s’est reconverti en guide touristique au Mexique. Menant un groupe de vieilles Américaines dans un autocar branlant, il tente sans beaucoup d’illusion de repousser les avances insistantes d’une jeune fille accompagnant le groupe. Sentant ses vieux démons le rattraper et menacé par la chaperonne de la jeune nymphette de perdre sa précaire situation, il conduit tout son équipage dans un hôtel caché dans la forêt, tenu par une vieille connaissance, bientôt rejoint par une vieille fille s’occupant de son grand-père poète. C’est là, dans la moiteur de la jungle mexicaine, que va se jouer le destin de Shannon, ballotté entre quatre femmes implacables chacune à sa façon, et sa propre folie.
Le réalisateur
John Huston (1906–1987), ancien boxeur professionnel, commence sa carrière dans le cinéma comme scénariste dans les années 30, avant de se lancer dans la réalisation. Réalisateur, scénariste, dialoguiste, acteur (notamment dans Chinatown de Roman Polanski), son abondante filmographie comptant plus de quarante films parle pour lui : Le faucon maltais (1941), Le Trésor de la Sierra Madre (1948), Key Largo (1948), Quand la ville dort (1950), African Queen (1951), Moby Dick (1956), Les Désaxés (1961), aperçu non exhaustif d’une impressionnante liste de grands films. Auteur de nombreuses adaptations de romans et de pièces (La nuit de l’iguane est adapté d’une pièce de Tennessee Williams), il a obtenu l’Oscar du meilleur réalisateur et du meilleur scénario pour Le Trésor de la Sierra Madre.
Notre avis
Trouble, sulfureux, provocant, La nuit de l’iguane transpire le climat languide de la forêt mexicaine. Alcool, sexe, haine, jalousie, la moiteur de l’atmosphère semble contaminer l’âme des personnages, Shannon en tête, tous en proie au doute et aux non-dits. Ce climat a peut-être également influencé l’humeur des acteurs du film, puisque la petite histoire raconte que les cinq acteurs principaux passèrent tout le tournage à se disputer, au point qu’à la fin des prises de vue, John Huston leur fit parvenir à chacun un colt en or contenant précisément cinq balles dans le barillet, chacune gravée du nom des cinq acteurs… Le choc fit son effet et les tensions s’estompèrent. Ces dissensions semblent toutefois ne pas avoir gêné les acteurs dans leur travail, tant l’interprétation est remarquable. En tête de cette prestigieuse distribution, Richard Burton et Ava Gardner sont impressionnants de justesse et de force. Quant à la jeune Sue Lyon (la Lolita du film de Kubrick), elle épate dans son nouveau rôle d’adolescente provocatrice.
Bien loin de n’être que du « théâtre filmé », l’adaptation de Huston se réapproprie le sujet, introduisant des pointes d’humour dans l’intrigue et les dialogues, donnant une vision personnelle du récit, fortement marqué de tragique, mais n’excluant pas la rédemption. Ponctué par plusieurs scènes mémorables et porté par une mise en scène à la fois forte et subtile, La nuit de l’iguane est une œuvre marquante à plus d’un titre. AB
Vous, les vivants!
Réalisation
Roy Andersson
Acteurs
Jessica Lundberg, Elisabeth Helander, Björn Englund Synopsis
« « You, the Living » parle de l’homme, de sa grandeur et sa misère, sa joie et sa tristesse, sa confiance en soi et son anxiété. Un homme dont on se moque, mais qui nous fait aussi pleurer. C’est tout simplement une comédie tragique ou une tragédie comique dont nous sommes le sujet. » (Roy Andersson)
Le film
Dans L’Edda poétique, ancien recueil de poésie islandaise, un proverbe dit : « L’homme est la joie de l’homme ». Néanmoins, si l’homme fait la joie de ses congénères, il est aussi la source de leurs problèmes et de leurs peines – ce qui se vérifie autant dans les grands événements historiques que dans les petits moments du quotidien. L’homme fascine l’homme : c’est ainsi que Roy Andersson a interprété ce très sage proverbe millénaire, en l’adoptant comme devise du film. Dans notre bagage culturel européen se trouve le point philosophique de Baruch de Spinoza (1632 – 1677): l’homme est un loup pour l’homme et l’homme est également un dieu pour l’homme. Nous vivons donc tous dans une ambiguïté existentielle, dont personne ne peut faire l’économie. Le film est composé d’une succession de tableaux qui illustrent la condition humaine. Les personnages représentent différentes facettes de l’existence. Ils affrontent des problèmes, petits et grands, qui vont de la survie quotidienne aux grandes questions philosophiques. Les rôles sont joués par des amateurs bien choisis et dirigés. Le film rompt avec les structures narratives classiques pour raconter son histoire à partir d’une mosaïque de destinées humaines. Il est tourné dans des décors construits en studio et bénéficie ainsi d’une maîtrise des couleurs et des éclairages. « S’appuyant sur des dialogues incisifs ou des situations absurdes, les saynètes illustrent brillamment la vacuité d’une communication factice où des êtres vivent ensemble, se parlent, font l’amour, sans parvenir à se comprendre. Au-delà de la virtuosité de la réalisation, Andersson livre une œuvre fluide, lisible, réjouissante. » (L’Humanité)
Le réalisateur
Roy Andersson est né en Suède à Göteborg en 1943. Son premier long métrage, Une histoire d’amour suédoise a remporté le principal prix au festival de Berlin 1970. Son deuxième film a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 1976. En 1981, Roy Andersson a fondé le Studio 24 afin de produire et réaliser ses films en totale indépendance. À la suite de Quelque chose est arrivé (1987) et Un monde de gloire (1991), deux courts métrages qui lui ont valu les plus prestigieuses récompenses, il a réalisé Chansons du deuxième étage dans son studio (entre mars 1996 et mai 2000) et obtenu le Prix Spécial du Jury à Cannes en 2000. You, the Living est son quatrième long métrage.
La vague
Réalisation et scénario
Dennis Gansel
Acteurs
Jürgen Vogel, Frederick Lau, Jennifer Ulrich
Le film
S’il fallait encore une preuve que le cinéma allemand se porte bien, après l’irrésistible Good Bye Lenin, plus récemment La Vie des autres, drame brillant de Florian Henckel von Donnersmarck, sans oublier La Chute, long métrage très controversé sur les derniers jours d’Hitler, La Vague est un nouveau film phénomène. C’est encore sur le nazisme que se penche le réalisateur Dennis Gansel. S’interrogeant toujours, comme d’autres cinéastes, sur les raisons de cette monstruosité, il tente d’expliquer le fonctionnement du totalitarisme. Comme L’Expérience (Das Experiment d’Oliver Hirschbiegel, 2001), La Vague s’inspire d’une expérience psycho-sociologique menée en 1967 aux Etats-Unis, et la transpose en Allemagne de nos jours. Le scénario s’inspire de sa vulgarisation par l’écrivain Todd Strasser (alias Morton Rhue) dans un roman écrit en 1981 et a été supervisé par l’auteur de l’expérience originale lui-même, William Ron Jones. En 1967, William Ron Jones est professeur dans un collège à Palo Alto, en Californie, haut lieu de la contestation estudiantine. Pour tenter de faire comprendre à ses élèves la nature du fascisme, il met en place un programme de normalisation et de formatage. Pendant une semaine, comme dans le film, il impose l’ordre, l’uniforme, la solidarité, l’intolérance. Et, alors que ses élèves se soudent peu à peu dans une idéologie de la haine, et dans un culte du secret, le dernier jour, Ron Jones projette un film sur le procès de Nüremberg et il révèle que « La Vague » n’existe pas et que toute cette semaine a été une manipulation riche d’enseignements. La conclusion diffère de celle du film : il n’y a pas d’éclat, pas de mort, pas de drame. Il y a juste la honte profonde ressentie par ses élèves. Propos de Dennis Gansel : « J’ai absolument tenu à transposer cette expérience pédagogique dans une école allemande d’aujourd’hui pour examiner comment, après le traumatisme hitlérien, des adolescents pourtant irréprochables pourraient devenir les instruments d’une abomination similaire ». « La question de savoir si le fascisme pourrait réapparaître m’a toujours fasciné. C’est probablement lié à l’histoire de ma famille : mon grand-père était officier sous le Troisième Reich, et ça n’a jamais cessé de tourmenter mon père et mes oncles. De mon côté, je me suis souvent demandé, quand j’étais jeune, comment j’aurais réagi face à une telle situation. Dans « La Vague », je me suis emparé de ce sujet sous la forme de questions. Comment une démocratie peut-elle être détournée du droit chemin ? Quel est le fonctionnement du fascisme ? Quelles seraient les conditions de sa renaissance ? » Dans le film de Dennis Gansel, la fable se joue à Berlin, dans un collège qui consacre une semaine à des ateliers thématiques. Lorsque le professeur Rainer Wenger, gauchiste notoire, se voit assigner l’autocratie, il commence par rechigner. Les élèves aussi préfèrent l’atelier anarchie, vite rempli. Piqué à vif, Rainer leur propose alors de se lancer dans une expérience collective, en commençant par l’appeler Monsieur Wenger et l’accepter comme leur leader. Bientôt, la discipline retrouvée fait place à l’uniforme et à un mouvement, « die Welle ». Surprise, la majorité des jeunes, encore farouchement individualiste la veille, apprécie ce nouvel esprit de corps. Dès le troisième jour, ils commencent à exclure ceux qui n’ont pas rallié leur cause, à préférer la violence à la discussion et à se faire remarquer en ville. Wenger se rend alors compte qu’il est allé trop loin. Mais « La Vague » échappe déjà à son contrôle… Témoin d’une prise de conscience par rapport à l’histoire, La Vague, porté par des comédiens remarquables, le formidable Jürgen Vogel en tête (Stille Nacht, Mein name ist Bach, Emma Glück), est un film implacable qui donne le frisson.
« Il part d’un constat parfaitement juste : trop d’idéologies discréditées renvoyées dos à dos, de liberté, d’individualisme et de consumérisme à tous crins ont créé un vide. Un manque de repères angoissant pour la jeunesse, voire même une sourde nostalgie pour une discipline, un idéal et un projet commun qu’ils n’ont jamais connus. Confiez des esprits encore impressionnables à un leader aussi charismatique que peu scrupuleux, et bonjour les dégâts ! » (Le Temps)
Le réalisateur
Né en 1973 à Hanovre, Dennis Gansel étudie à l’Institut de la télévision et du cinéma de Munich. Après des courts métrages, il réalise le téléfilm Das Phantom, un thriller politique qui reçoit plusieurs prix. Sa comédie, Mädchen, Mädchen, est un succès public. Son film Napola, réalisé en 2004, remporte le prix du meilleur film au festival de Viareggio ainsi que le prix du public au festival des Hamptons. Die Welle est le film le plus marquant de 2008 en Allemagne. PMP
Kaos
Réalisation, scénario
Paolo et Vittorio Taviani
Acteurs
mero Antonutti, Regina Bianchi, Margarita Lozano, Orazzio Torrisi, Carlo Cartier, Claudio Bigagli
« Après avoir découvert la Sardaigne (« Padre Padrone ») et la Toscane (« La nuit de San Lorenzo »), nous avons eu envie de revenir en Sicile où nous avons tourné notre premier film « Un homme à brûler ». « Kaos », c’est le nom du lieu-dit où Pirandello est né, et c’est à Pirandello que nous avons emprunté les quatre contes qui constituent la structure de notre film (…). Avec le scénariste Tonino Guerra, nous ne nous contentons pas d’illustrer Pirandello. Nous avons beaucoup changé ses histoires pour les rendre cinématographiques et pourtant nous avons la satisfaction d’enrichir la mémoire collective des gens. Ce qui était tradition orale et récits de nourrice devient images.»
Le film
« La célébrité du dramaturge sicilien Luigi Pirandello (1867-1936, Prix Nobel de littérature en 1934) a éclipsé un autre de ses talents, celui de nouvelliste. Dans « Kaos », film qui saisit dans ses multiples dimensions la région natale de l’écrivain, les frères Taviani ont su merveilleusement traduire, à travers la visualisation de quatre textes de l’auteur, les mœurs et les mythes de la Sicile. Les thèmes des racines, de l’attachement tellurique, ceux aussi de la mort et de la perte d’identité, parcourent l’ensemble du film. Il ne s’agit pas ici d’une illustration d’éléments purement scénariques mais d’une tentative d’ébauche d’une « dramaturgie ethnographique ». Dans « Kaos », les frères Taviani reviennent à un cinéma « matériel », physique. C’est comme s’ils avaient réussi à piéger, par le recours à des codes spécifiques et à une technique de filmage appropriée, le noyau le plus secret de la mentalité sicilienne. Loin de tout folklore, « Kaos » pénètre la vision même que l’auteur porte sur sa région natale. Avec cette magistrale adaptation de quatre nouvelles tirées du recueil « Novelle per un anno » de Luigi Pirandello, les frères Taviani ajoutent un nouveau chef-d’œuvre à une filmographie déjà brillante ». (La revue du cinéma, saison 1985)
Les quatre nouvelles rassemblées ici ont chacune leur autonomie mais ont en commun quelque chose qui fonde leur unité thématique et justifie le titre de l’ensemble. Kaos, qui est, selon Pirandello, l’étymologie grecque du lieu-dit Cavasù, près d’Agrigente, où il est né. Il y a en effet une sorte d’enracinement tellurique dans ces histoires vouées aux déchaînements des passions et des pulsions et qui, à travers le thème de la mort évoqué plus ou moins directement, traitent de la vie en liaison avec les éléments naturels dans une vision du monde encore proche des mythes originels.
Dans L’autre fils, une vieille paysanne raconte son destin à l’homme qui lui écrit une lettre destinée à ses fils partis en Amérique. Elle ne peut se résoudre à cohabiter avec son seul garçon resté au pays car il est le fruit d’un viol. Le mal de lune aborde un sujet à dominante fantastique : un jeune homme se transforme, à chaque pleine lune, en loup garou. Apprenant le mal dont souffre son époux, la belle Sidora demande à un de ses soupirants de lui tenir compagnie durant ces terribles nuits. Requiem est, lui, un drame collectif : il nous sensibilise au sort de quelques paysans voulant être enterrés dans la terre qu’ils habitent et travaillent. Mais le maire refuse car le domaine ne leur appartient pas. Entretien avec la mère met en scène Pirandello lui-même. Vieilli, il revient dans sa demeure et converse avec sa mère défunte : cette dernière lui raconte un épisode inédit de son adolescence et lui donne la clé de son métier d’écrivain « voir avec les yeux de ceux qui ne sont plus ». Au désespoir, à la haine, la violence, la déraison, la peur et la sensualité, au bruit et à la fureur du grand théâtre sicilien, succède le calme surnaturel de l’épilogue. Les Taviani achèvent leur film sur un rêve d’éternité tendre…
« La richesse esthétique et morale de ce film vient de ce que l’aptitude éprouvée des deux cinéastes à magnifier le paysage en général et la campagne en particulier s’y combine avec le sens du mystère, des contradictions et des abîmes de l’être humain, propres à l’univers de Pirandello. » (24 Heures)
Les vestiges du jour
Réalisation
James Ivory
Scénario
Ruth Prawer Jhabvala, d’après le roman de Kazuo Ishiguro
Acteurs
Anthony Hopkins, Emma Thompson, James Fox
Synopsis
Eté 1956, Stevens (Anthony Hopkins), majordome exemplaire au service de Darlington Hall depuis plus de trente ans, s’accorde quelques jours de repos et va parcourir en voiture la campagne anglaise à la rencontre d’une femme qui a autrefois croisé son destin et à la recherche de ses souvenirs. Il se remémore ainsi sa vie dévouée à Lord Darlington (James Fox), l’une des prestigieuses figures de l’aristocratie britannique des années 30. A cette époque, Darlington Hall est un lieu privilégié où se déroulent d’importantes conférences internationales. Stevens dirige une armée de serviteurs avec dignité, réserve et précision. Il place vertu et obéissance au-dessus de tout. Sa soumission est telle qu’il ne remarque pas les liens étroits que Lord Darlington entretient avec les nazis. De réceptions en banquets, l’Histoire s’écrit avec ses doutes, ses errements, ses bassesses. Mais Stevens ne veut, ne doit rien remarquer, même pas la mort de son père (Peter Vaughan) qui le dérange presque dans l’ordonnancement du château. Pour le seconder, il a engagé Miss Kenton (Emma Thompson) comme gouvernante. Impulsive, vive, elle séduit et irrite Stevens. Mais de non dits en démissions personnelles, le fier majordome restera aveugle aux agissements douteux de son maître, poussant Miss Kenton dans les bras d’un autre. Vingt ans plus tard, arrivé au carrefour de sa vie, il ne se rebellera pas. Mais ce n’est pas son genre ! Le hasard mettra sur son chemin Miss Kenton. Il se demandera alors s’il n’a pas pris la mauvaise route de la destinée…
Réalisation
James Yvory et Anthony Hopkins ont veillé à ce que non seulement Stevens ne soit jamais ridicule dans son attachement à sa fonction, mais qu’au contraire son idéal ne soit pas exempt de grandeur. Quant à Lord Darlington, James Fox le campe dans le film comme un brave homme abusé à la fois par ses interlocuteurs et ses bons sentiments. Il est le digne représentant de l’Ancien monde, celui de l’ordre, domaine de la règle, et non pas de la realpolitik, domaine de la lutte, comme le rappelle le participant Lewis, étatsunien. Les conséquences dramatiques de ces malentendus sont rappelées à plusieurs reprises. On apprendra par exemple que M. Cardinal, son filleul, est décédé à la guerre. Pendant son voyage, Stevens se montrera pensif et mal à l’aise en considérant la chambre du fils de ses hôtes, décédé lui aussi à la guerre. L’ensemble évoque une fatalité qui dépasse les protagonistes et rappelle le mécanisme de la tragédie grecque. Pour la petite histoire, ni Kazuo Ishiguro (qui a été présent sur le tournage du film) ni James Ivory ne savaient en fait quel était le travail exact d’un majordome. C’est un majordome retraité de Buckingham Palace qui accepta de leur servir de conseiller technique et leur apprit une technique exposée dans le film : utiliser une règle graduée pour mettre la table afin que l’alignement des verres ne souffre d’aucun défaut.
Récompenses
Ce film a fait l’objet de plusieurs nomination aux Oscars, notamment celle de meilleur film, de meilleur réalisateur pour James Ivory ou encore celle de meilleur acteur pour Anthony Hopkins; mais il n’en a reçu aucun. Ce n’est qu’avec le temps qu’il a pris une stature de classique du cinéma. MP
Le déjeuner du 15 août
Réalisation
Gianni di Gregorio
Acteurs
Gianni di Gregorio, Alfonso Santagata
Le film
Le quinquagénaire Gianni, fils unique, vit seul avec sa mère, une aristocrate désargentée, dans un appartement au centre de Rome. Leur vie se passe tranquillement jusqu’au jour où Luigi, l’administrateur de l’immeuble, lui fait une offre qu’il ne peut pas refuser : s’occuper de sa mère pendant deux jours, afin qu’il puisse quitter Rome et voir sa maîtresse. Luigi réussit à le convaincre en lui promettant de radier ses nombreuses dettes envers la copropriété. La veille du quinze août, Luigi dépose non seulement sa mère, mais aussi sa tante. Gianni se sent dépassé par les événements et inquiet pour sa santé, appelle Marcello, son médecin. Celui-ci arrive à le calmer, mais lui demande un service en échange : s’occuper de sa mère. Entre sa propre mère qui ne veut pas partager sa télévision, Marina qui ne sort plus de sa chambre, Maria qui tient à faire des pâtes au four et Grazia qui doit suivre un régime strict, Gianni perd la tête.
Le réalisateur
Gianni de Gregorio est né à Rome, dans le Trastevere. Fils unique, il a été contraint durant des années de se mesurer à la forte personnalité d’une mère veuve et dominante. Durant l’été 2000, le syndic de son immeuble, le sachant endetté, lui propose réellement de garder sa mère. Gianni di Gregorio refuse, mais s’est toujours demandé ce qui serait arrivé s’il avait accepté. C’est ainsi qu’est née l’idée du film. Gianni di Gregorio commence des études de lettres, mais se consacre finalement à la réalisation et à l’art dramatique. Il abandonne le théâtre et devient premier assistant réalisateur au cinéma. Puis il commence à écrire des scénarios, dont celui de Gomorra. Il pranzo di Ferragosto est son premier film et a reçu le prix “Luigi de Laurentiis” du meilleur premier film au Festival de Venise 2008.
Notre avis
Ce petit film est un mélange subtil de tendresse, de finesse d’observation et de philosophie de la vie quotidienne. C’est souvent hors champ, depuis la pièce d’où Gianni entend, qu’on saisit des bribes de conversation entre ces vieilles dames évoquant le passé. Trop fières pour se plaindre, elles préfèrent se vanter, mentir peut-être. La réalité de leur détresse, mais aussi leur force passe mieux dans cette manière de regarder et d’écouter à distance. Inversement, la caméra vient scruter en gros plan ces quatre vieilles peaux et ces regards faussement naïfs de jeunes filles coupables. Tout est jeu, mais le jeu est réel. Il est vital pour ces vieilles dames, que leur âge met à l’écart de la société et qui sentent qu’on voudrait bien se débarrasser d’elles. La question de la vieillesse est aujourd’hui au cœur des sociétés occidentales, au plan humain autant qu’au plan économique. On retrouve dans ce petit film un peu des forces de la comédie italienne: savoir saisir dans les problèmes sociétaux contemporains leur fond universel et atemporel. TK