Voyage à travers le cinéma français

Un documentaire de Bertrand Tavernier

Propos du réalisateur

Ce travail de citoyen et d’espion, d’explorateur et de peintre, de chroniqueur et d’aventurier qu’ont si bien décrit tant d’auteurs, de Casanova à Gilles Perrault, n’est-ce pas une belle définition du métier de cinéaste que l’on a envie d’appliquer à Renoir, à Becker, au Vigo de l’Atalante, à Duvivier, aussi bien qu’à Truffaut ou Demy. A Max Ophuls et aussi à Bresson. Et à des metteurs en scène moins connus, Grangier, Gréville ou encore Sacha, qui, au détour d’une scène ou d’un film, illuminent une émotion, débusquent des vérités surprenantes. Je voudrais que ce film soit un acte de gratitude envers tous ceux, cinéastes, scénaristes, acteurs et musiciens qui ont surgi dans ma vie. La mémoire réchauffe : ce film, c’est un peu de charbon pour les nuits d’hiver ».

(Betrand Tavernier)

Le film

« De Bertrand Tavernier, on connaît l’œuvre de fiction (éclectique et engagée) et le goût du cinéma américain, qui l’a mené à écrire quelques ouvrages qui font référence sur le sujet. Ce qu’il tente aujourd’hui avec ce documentaire est d’un ordre plus trouble. Il s’agit à la fois de se raconter soi-même et d’imager une histoire du cinéma français. De convoquer ici un parcours personnel, de livrer là une analyse des films en bonne et due forme.

Ce qu’on sent le plus sûrement dans ce film si particulier, et il faut le dire si touchant, c’est qu’à 75 ans, ce cinéphile enragé a décidé de se livrer à une sorte de bilan existentiel, et que la meilleure façon qu’il ait trouvée, parce que la plus sincère, est d’écrire cette histoire avec les images des films qu’il affectionne. Voilà bien une idée de ciné-maniaque, qui voit dans les fantômes de la toile l’illusion décisive qui le constitue comme être de sentiment et de mémoire. »

(Jacques Mandelbaum, Le Monde) 

« Un pur exercice pour spécialistes à destination du petit écran plutôt que du grand? C’est ce qu’ont apparemment craint nos programmateurs eux-mêmes, qui ne proposent pour l’instant qu’une poignée de séances aux cinémas. Fâcheux défaitisme, tant le plaisir est au rendez-vous, qui pourrait bien surprendre les plus ignorants en la matière! Car le cinéma français classique ne manque pas de pépites. Un seul extrait, et on n’a qu’une envie: (re) découvrir le film en question en entier, voire toute l’oeuvre de son auteur! Quant à Tavernier, il est un sacré conteur, qui sait organiser son récit tout en lui préservant une apparence de balade buissonnière plutôt que d’étude universitaire. (Norbert Creutz, Le Temps)

Filmographie sélective de Bertrand Tavernier (né à Lyon en 1941)

L’Horloger de Saint-Paul (1974); Que la fête commence… (1975); Le Juge et l’Assassin (1976); Une semaine de vacances (1980); Coup de torchon (1981); Un dimanche à la campagne(1984); La Vie et rien d’autre (1989); L.627 (1992); La Fille de d’Artagnan (1994); Capitaine Conan (1996); Dans la brume électrique (2009);  La Princesse de Montpensier (2010).

FB

La danseuse

Réalisation : Stéphanie Di Giusto
Acteurs: Soko, Lily-Rose Depp, Gaspard Ulliel

Le film

Loïe Fuller est née dans le grand Ouest américain. Rien ne destine cette fille de ferme à devenir la gloire des cabarets parisiens de la Belle Epoque et encore moins à danser à l’Opéra de Paris. Cachée sous des mètres de soie, les bras prolongés de longues baguettes en bois, Loïe réinvente son corps sur scène et émerveille chaque soir un peu plus. Même si les efforts physiques doivent lui briser le dos, même si la puissance des éclairages doit lui brûler les yeux, elle ne cessera de perfectionner sa danse. Mais sa rencontre avec Isadora Duncan, jeune prodige avide de gloire, va précipiter la chute de cette icône du début du XXe siècle.

La réalisatrice

Après avoir étudié à l’École nationale supérieure des arts décoratifs et à l’École supérieure d’arts graphiques Penninghen à Paris, Stéphanie Di Giusto commence sa carrière en réalisant plusieurs clips vidéo pour des artistes français et internationaux comme Camille, Rose, Brigitte Fontaine, Sliimy ou encore Jarvis Cocker. Elle travaille également avec la créatrice de mode Vanessa Bruno, notamment pour la collection printemps-été 2010 de cette dernière en réalisant un court-métrage, Le Bel Eté, mettant en scène l’actrice Lou Doillon.

Stéphanie Di Giusto a collaboré avec France 5, Orange et plusieurs magazines de mode tels que Vogue, Elle ou Purple Magazine. En 2016, elle réalise son premier film, La Danseuse, dont elle est également la scénariste. Le film a été présenté au Festival de Cannes dans la catégorie Un certain regard.

Loïe Fuller

Née Mary Louise Fuller en 1862 dans l’Illinois, elle est une pionnière de la danse moderne, célèbre pour les voiles qu’elle faisait tournoyer dans ses chorégraphies. Sa première chorégraphie, la Danse serpentine, créée à New York en 1892, connaît un succès tel que de nombreuses imitatrices se l’approprient aussitôt. Installée ensuite à Paris, elle est remarquée et engagée aux Folies Bergère. Elle devient l’une des artistes les plus importantes et les mieux payées dans le monde du spectacle. L’avènement de l’éclairage électrique et l’imagination créatrice de Fuller suscitent une révolution dans les arts de la scène. La danse qu’elle met au point fait appel à un nombre infini de disciplines scientifique : mathématiques, scéniques, et même chimiques… La confection de sa robe de scène, qui nécessite 350 mètres de soie, est déjà un énorme défi qui fait appel à une formule mathématique. Loïe Fuller s’est nourrie de tous les ouvrages qu’elle trouvait et de tous les gens qu’elle rencontrait, Edison, Flammarion l’astronome… Elle a étudié l’éclairage, maîtrise parfaitement tous les dispositifs scéniques – d’où son exigence de faire appel à 25 techniciens – et a même inventé les sels phosphorescents qu’elle appliquait sur ses costumes en montant son propre laboratoire de chimie. Elle est vraiment à la base de l’abstraction et du spectacle multimédias. Lorsqu’elle se produit aux Folies Bergère, elle est quasiment devenue une cheffe d’entreprise. Elle dépose un total de dix brevets et copyrights, principalement reliés à ses accessoires et dispositifs d’éclairage. Son succès ne fut pas éphémère, mais en tant que danseuse elle fut éclipsée en 1902 par Isadora Duncan, sa compatriote, qu’elle contribua à faire connaître en Europe. Malgré une longue et impressionnante carrière, elle fut pratiquement oubliée du grand public après sa mort, mais devint rapidement une référence dans l’histoire de la danse, marquant un point d’articulation entre le music-hall, la performance et la danse moderne. Elle partagea la vie de Gabrielle Bloch durant vingt-trois ans, jusqu’à son décès à Paris en 1928. Ses cendres reposent à Paris au columbarium du Père-Lachaise

Isadora Duncan

Isadora Duncan naît en 1877 à San Francisco. Quittant les Etats-Unis à l’âge de 22 ans, elle connaît rapidement un grand succès à Paris. Elle révolutionne la pratique de la danse par un retour au modèle des figures antiques grecques. Par sa grande liberté d’expression, qui privilégie la spontanéité, le naturel, elle apporte les premières bases de la danse moderne européenne, à l’origine de la danse contemporaine. Influencée par son frère Raymond Duncan sur un retour à l’hellénisme et au culte du corps, elle a voulu redonner toute sa place à la beauté, à l’harmonie du corps, osant s’exhiber presque nue, dissimulée seulement par quelques voiles. Par ailleurs, son travail chorégraphique accorde une place particulière à la spiritualité. Pédagogue extrêmement douée, totalement non conventionnelle, elle fonde plusieurs écoles de danse aux Etats-Unis et en Europe. Non conventionnelle également dans sa vie privée, elle vit plusieurs histoires d’amour tant avec des hommes qu’avec des femmes et a deux enfants hors mariage. Elle se marie une seule fois, avec un poète russe, mais l’union est de courte durée. Sa vie est jalonnée de drames, avec notamment le décès par noyade de ses deux enfants. Elle décède elle-même tragiquement en 1927 à Nice lorsque son foulard de soie se prend dans la roue de sa voiture. Comme Loïe Fuller, ses cendres reposent au colombarium du Père-Lachaise à Paris.

LP

La dernière chance

Réalisation : Leopold Lindtberg
Acteurs: Ewart G. Morrison, John Hoy

Synopsis

Septembre 1943, Italie du Nord. Deux prisonniers de guerre évadés, un Britannique et un Américain, sont recueillis par le curé d’un village qui cache des fugitifs juifs. Il les convainc d’accompagner à travers la montagne un groupe de réfugiés de dix nationalités différentes jusqu’en territoire neutre, la Suisse. Ce sera leur dernière chance.

Politique d’asile de la Suisse

Respectivement juifs polonais et autrichien, le producteur Lazar Wechsler de la Praesens Film et le réalisateur Leopold Lindtberg ne pouvaient qu’être très sensibles à la politique d’asile de la Suisse durant la guerre. Il faut rappeler que dès 1938, Berne exige l’apposition du sceau « J » sur les passeports juifs des immigrants. En août 1942, le conseiller fédéral Eduard von Steiger estime que « la barque est pleine » et fait fermer hermétiquement la frontière. Dès ce moment, seuls les réfugiés « politiques » sont admis. Mais une directive fédérale précise que      « ceux qui n’ont pris la fuite qu’en raison de leur race, les Juifs par exemple, ne doivent pas être considérés comme des réfugiés politiques ». Il faut néanmoins préciser ici que ces mesures fédérales seront critiquées par une grande partie de la population qui fera entrer illégalement de nombreux réfugiés.

Réalisation du film : un parcours semé d’embûches

En décidant de mettre en scène la situation des réfugiés, la Praesens Film s’attire les foudres du gouvernement suisse qui se méfie d’une œuvre potentiellement critique à l’égard de ses positions. Plusieurs fois, l’armée complique le tournage, interdit certains sites prévus pour des séquences et refuse des autorisations. Une fois le film achevé, tout est mis en œuvre pour retarder sa sortie – au moins jusqu’à la fin de la guerre. Certains militaires, germanophiles, exigent même la destruction du négatif. Contre toute attente, la censure autorise néanmoins la sortie du film sans modification ni coupure. Seule une scène sera raccourcie, sur demande du président de la Confédération et d’un conseiller fédéral : la scène d’attente au poste-frontière; trop longue, elle sous-entendrait que l’accueil des réfugiés n’allait pas de soi.

Un succès mondial

Dès sa sortie en 1945, Die letzte Chance connaît un succès national et international. Il reste 14 semaines à l’affiche à Zurich et fait 1 million d’entrées en Suisse, avant d’entamer une carrière internationale. En 1946, le film remporte le Prix International de la Paix au festival de Cannes. Restauré par la Cinémathèque suisse en 2016, ce classique du cinéma helvétique attire à nouveau le public dans plusieurs festivals (Lyon, Cannes, Bologne, Thessalonique et New-York).

La Praesens Film

Fondée en 1924 par l’ingénieur Lazar Wechsler et le pionnier de l’aviation Walter Mittelholzer (futur père de la Swissair), la société zurichoise Praesens Film se consacre d’abord au cinéma publicitaire et de commande. Elle se lance ensuite dans la production d’œuvres plus ambitieuses. Son premier coup d’éclat : un film sur la défense de l’avortement tourné à Zurich par le russe Eisenstein ( Frauennot-Frauenglück, 1929).

Lazar Wechsler constitue peu à peu une équipe de collaborateurs que l’on retrouve dans presque toutes les productions : le scénariste Richard Schweizer, le chef opérateur Emil Berna, le monteur Hermann Haller, le compositeur Robert Blum, l’acteur Heinrich Gretler et les réalisateurs Leopold Lindtberg et Franz Schnyder.

A la fin des années 1930, la Praesens Film contribue à la « défense nationale spirituelle » souhaitée par le gouvernement suisse avec une série de films patriotiques qui évoquent la guerre de 1914-1918 (Füsilier Wipf de Lindtberg en 1938 ou Gilberte de Courgenay de Schnyder en 1941) ou la victoire des Suisses à Morgarten en 1315 (Landamann Stauffacher de Lindtberg en 1941).

Mais les engagements politiques et moraux de Lazar Wechsler le poussent à toujours revenir à des sujets plus graves comme Marie-Louise de Lindtberg (1944), sur les enfants français accueillis en Suisse durant la guerre.

Dans les années 1950, la société s’éloigne des sujets graves pour tourner des productions populaires et familiales, comme Heidi réalisé par Luigi Comencini (1952).

Contrôlant verticalement toute la chaîne de production cinématographique, de la création à la distribution, à la fois despote, progressiste et visionnaire, Lazar Wechsler était considéré comme le seul producteur « à l’américaine » de Suisse.

Rachetée au début des années 1970, la Praesens Film est la plus ancienne société cinématographique suisse encore en activité. 

LM

7 Minuti

Réalisation : Michele Placido
Actrices: Ambra Angiolini, Cristiana Capotando, Maria Nazionale, Violante Placido, Clémence Poésy, Sabine Timoteo, Ottavia Piccolo, Anne Consigny.

Le film

Italie, de nos jours. L’avenir d’une usine de textile en faillite dépend désormais d’un grand groupe français, Rochette&Co. À l’issue de la réunion avec les anciens dirigeants, les nouveaux acquéreurs ne souhaitent licencier personne mais demandent aux employées de signer un nouveau contrat stipulant qu’elles acceptent de perdre 7 minutes de leur pause-déjeuner quotidienne. Cette proposition est soumise au vote des onze employées représentantes du personnel. Dès lors, pendant qu’en haut, les dirigeants célèbrent sournoisement la fusion d’entreprise, en bas a lieu une confrontation très serrée des raisons en faveur d’un oui ou d’un non. Il y a les « anciennes », la femme enceinte, les immigrées, la mère de famille dont le mari est au chômage technique, la jeune fille qui vient de décrocher son premier emploi… Chacune a sa propre histoire, ses propres besoins et son propre désespoir.

Partant d’un fait divers où des ouvrières françaises se sont battues pour leurs droits et s’inspirant de la pièce homonyme de Stefano Massini, le réalisateur italien Michele Placido trace le portrait, en douze figures, de la femme dans la société actuelle et nous invite à réfléchir sur la crise du monde du travail.

« Dans la pièce de Massini, et dans mon film, ce sont onze femmes très différentes entre elles qui doivent décider de leur propre destin, tandis qu’au dehors, quatre cents de leurs collègues attendent une réponse. Je me suis aussi inspiré d’un fait divers survenu en France. C’est vraiment un sujet brûlant. Il faudrait ré-humaniser le travail, parce qu’il n’est pas juste d’en devenir les esclaves. » (Propos du réalisateur)

« Dans un décor figé, dont les machines et murs froids rappellent parfois Le désert rouge d’Antonioni, se joue une sorte de Douze hommes en colère au féminin. La tension est parfaitement maintenue tout au long du film, comme dans un thriller psychologique, grâce à un montage sec, au rythme rapide mais surtout grâce aux comédiennes, absolument parfaites. Car oui, 7 minutes est avant tout un film de femmes, observées sans jugement par la caméra du réalisateur. Rarement on aura vu des rapports, entre violence et complicité, aussi éloignés de tout stéréotype. Le portrait de chacune des protagonistes est tracé avec justesse, donnant à voir leurs failles, leurs convictions, leurs parcours, sans jamais s’appesantir. » (Ciné-Feuilles)

Toutefois, derrière elles, ce sont de nombreuses réalités actuelles qui sont exposées. Là encore, le harcèlement, la place de la femme, les conséquences de la crise, les migrations, le racisme sont autant de thématiques abordées avec sensibilité. Et à travers le dilemme auquel doivent faire face ces femmes sous la contrainte, le réalisateur offre une réflexion sur la situation des travailleurs aujourd’hui et leur lutte pour le maintien de leurs droits, qui va bien au-delà de l’enceinte de la fabrique. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour travailler ? Jusqu’à quel point peut-on brader sa dignité pour garder son emploi ? Ce sont autant de questions qui traversent ce long-métrage militant.

Le réalisateur

Né en 1946, Michele Placido mène une double carrière d’acteur et de réalisateur depuis plus de trente ans. Ancien policier, il débute au théâtre avant de faire ses premiers pas au cinéma en 1974 dans Romances et confidences de Mario Monicelli. Depuis, il a joué avec les plus grands cinéastes italiens : les frères Taviani, Marco Bellochio, Marco Ferreri, Gianni Amelio, Mario Martone, Nanni Moretti, Giuseppe Tornatore… Michele Placido est passé à la réalisation en 1989 avec Pummarò. Suivront Les amies de cœur (1992), Un héros ordinaire (1995), Del perduto amore (1998), Un altro mondo è possibile (2001), Un viaggio chiamato amore (2002), Ovunque sei (2004), Romanzo criminale (2005), Le rêve italien (2009), L’ange du mal (2010), Le guetteur (2012). 

PMP

Cherchez la femme

Réalisation : Sou Abadi
Acteurs: Félix Moati, Camélia Jordana, William Lebghil, Anne Alvaro

Le film

Un regard burlesque sur l’islamisme radical

Le film de la réalisatrice iranienne Sou Abadi démarre comme un drame familial et social : Armand (Félix Moati) et Leila (Camélia Jordana), tous deux étudiants à Sciences Po, projettent de partir ensemble à New York pour accomplir leur stage de fin d’études aux Nations Unies. Mais Mahmoud (William Lebghil), le frère aîné de Leila, revient d’un séjour au Yémen qui a fait de lui un islamiste radical. Bien décidé à imposer son idéologie, il s’oppose à la relation amoureuse de sa sœur et l’éloigne d’Armand en la séquestrant à la maison. Jusque-là, le ton est donné. Mais le film va prendre tout à coup une autre direction, moins attendue et plus comique… 

Premier long métrage de Sou Abadi, Cherchez la femme traite d’un sujet d’actualité, la radicalisation religieuse, qui s’avère être un défi pour qui veut s’en emparer, de surcroît si c’est pour en faire une  comédie où satire grinçante et comique de situation ont la part belle.  « La réalisatrice évite savamment tous les écueils liés à son sujet par la profonde connaissance qu’elle en possède : elle le maîtrise suffisamment pour ne s’embarrasser d’aucune précaution qui viendrait jouer contre la drôlerie du film. C’est même le contraire, le film semble s’amuser d’être à ce point sur la corde raide, et par un savant jeu d’équilibriste, évite la caricature autant que le simplisme moralisateur. 

Toute une galerie de personnages s’agence autour du couple principal, chacun ayant un rapport particulier à l’islam, qui vient étoffer le propos de la réalisatrice contre l’islamisme radical et pour l’émancipation de la femme : les parents d’Armand, militants politiques iraniens, les amis radicalisés de Mahmoud, plus ridicules qu’inquiétants, les réfugiés qui enseignent les dogmes de l’islam. Le dénouement, burlesque et ingénieux, confirme la qualité d’écriture de cet étonnant vaudeville politique […] Sa structure formelle est parfaitement maîtrisée, tant au niveau du jeu des acteurs que dans la construction du récit. » (Le Monde)

« La tentation intégriste, les attentats terroristes, l’obscurantisme guerrier de Daech ont contribué à faire de la religion des 1001 Nuits un spectre monumental. Cherchez la femme a l’immense mérite de désacraliser les crispations idéologiques, de relativiser les dérives fondamentalistes, de capter la touche grotesque inhérente à toute forme de dogmatisme […] La cinéaste rappelle que le rire tue la peur. » (Le Temps)

La réalisatrice

Née à Téhéran, Sou Abadi est arrivée en France à l’âge de 15 ans après avoir grandi sous deux dictatures. Elle a abordé le cinéma par le biais du montage, puis la réalisation de documentaires. En 2001, dans son documentaire SOS Téhéran, elle brossait le portrait d’une société en pleine mutation, entre crise économique, interdits et renouveau. Le film a été salué comme l’un des documentaires les plus audacieux sur la société iranienne. En 2012, après avoir développé plusieurs projets de documentaires, elle décide de se lancer dans l’écriture de sa première fiction, Cherchez la femme, qu’elle qualifie de « film politique ». « J’avais envie d’aborder ce sujet de l’extrémisme, de l’obscurantisme, de l’intégrisme, de la violence qu’une religion peut engendrer quand elle devient un étendard politique. Je suis d’origine iranienne, j’avais 10 ou 11 ans quand la révolution en Iran a eu lieu, 15 ans quand j’ai quitté mon pays. Pendant quatre ans, j’ai vécu le régime islamique, les restrictions vestimentaires, l’éducation religieuse obligatoire, et toutes ces lois fondées sur l’interdit ont bercé mon adolescence. »

PMP

 

Tanna

Réalisation : Bentley Dean, Martin Butler
Acteurs: Mungau Dain, Marie Wawa, Marceline Rofit, Chef Charlie Kahla

Le film

Sur l’île de Tanna dans l’archipel de Vanuatu (Pacifique Sud), Wawa, une jeune fille d’une des dernières tribus traditionnelles, est amoureuse du petit-fils du chef, Dain. Mais elle est promise à un homme d’une tribu ennemie, en vertu d’une union qui rétablira la paix. Les deux amoureux s’enfuient, poursuivis par les guerriers ennemis décidés à tuer Dain et à récupérer Wawa. Basé sur une histoire vraie qui s’est déroulée en 1986, le film est interprété exclusivement par des habitants de l’île.

Cette histoire qui rappelle celle de Roméo et Juliette s’est réellement déroulée à Tanna, en 1985. Elle montre des jeunes à qui la coutume impose de choisir entre leurs sentiments et l’avenir de leur tribu, tandis que les villageois doivent préserver leur culture traditionnelle tout en s’adaptant au désir croissant de liberté individuelle. L’histoire tragique de 1985 a provoqué une modification dans la Kastom : les mariages forcés ne sont plus autorisés à Tanna.

Les réalisateurs

L’Australien Bentley Dean a été un des participants à la première Race Around the World de la chaîne ABC en 1997. Après avoir travaillé comme réalisateur freelance, il a été engagé en 2001 par le programme international Dateline de SBS. Il a ensuite réalisé plusieurs documentaires sociaux marquants qui lui ont valu des récompenses, ainsi Anatomy of a Coup (2002) sur la tentative de coup d’Etat contre Hugo Chavez au Venezuela, et The President Versus David Hicks (2004) consacré au « taliban australien » enfermé à Guantanamo. En 2009, il a fait équipe avec Martin Butler pour réaliser Contact, un documentaire sur le premier contact avec l’Australie moderne d’une tribu aborigène du désert. Le duo a réalisé en 2013 le quatrième épisode de la série documentaire First Footprints consacrée aux 50’000 ans d’histoire aborigène de l’Australie. Dans leur tandem, Bentley Dean a pour habitude de filmer tandis que Martin Butler supervise la prise de son. Tanna est leur premier film de fiction. 

Le Britannique Martin Butler a étudié les sciences politiques et économiques à l’Université d’Oxford avant d’aller travailler pour Kit Lambert, manager du groupe The Who, qui possédait le fameux Palazzo Dario sur le Grand Canal à Venise. Martin Butler a émigré en Australie en 1981 et passé les vingt-cinq années suivantes à produire des documentaires (plusieurs primés, dont Frozen Asset en 1989, consacré à l’Antarctique) pour les émissions Four Corners et Foreign Correspondent d’ABC ainsi que Dateline de SBS.

Le tournage

Tanna est né du souhait des réalisateurs de passer du temps sur cette île qu’ils avaient visitée à l’occasion d’un autre tournage. Les habitants ont été intimement intégrés au processus de création : l’histoire, les personnages, les dialogues, la distribution des rôles. Plusieurs interprètes jouent leur propre rôle (le chef, le chaman). Aucun des protagonistes n’était alphabétisé, ni n’avait d’expérience d’acteur. Les réalisateurs ont bénéficié de l’aide d’un conseiller culturel, Jimmy Joseph Nako, élevé selon la tradition dans le village voisin de Yakel, mais ayant fait des études. JJ a été leur traducteur, leur interprète culturel, leur guide et le pivot essentiel pour communiquer et négocier avec la tribu.

La première projection du film

Les réalisateurs avaient promis aux gens de Yakel qu’ils seraient les premiers au monde à voir Tanna. Mais quelques semaines avant le jour prévu pour la projection, le cyclone Pam a dévasté Vanuatu et Yakel n’a pas été épargné. La projection a tout de même eu lieu dans un village en pleine reconstruction. « Des tribus sont venues de toutes les directions. Ce fut une expérience inoubliable. Personne n’était jamais allé au cinéma. C’était leur premier film et ils étaient dedans avec leur propre langue, racontant leur propre histoire. Il y avait des cris de joie et des rires, des exclamations quand les amants faisaient quelque chose de mal, des garçons adolescents ricanaient pendant les scènes d’amour tandis que les jeunes filles, aux premiers rangs, leur criaient de se taire. Le lendemain, après en avoir longuement discuté entre eux, les chefs nous ont donné ce qui reste notre meilleure critique : « Nous savons que vous êtes venus ici avec votre matériel et l’idée de faire un film. Mais nous voulons vous informer que nous le considérons comme notre film ». Ils ont dit que Tanna reflète la vérité et les aidera à maintenir la Kastom forte. Ils nous ont donné un poulet et une racine sacrée de kava. »

L’île de Tanna

Tanna, une des plus grandes îles (550 km2 – pour comparer, la superficie du district d’Aigle est de 435 km2) de l’archipel du Vanuatu, se trouve au sud des anciennes « Nouvelles-Hébrides » qui ont obtenu leur indépendance de la Grande-Bretagne et de la France en 1980. Située à 1750 km à l’est de l’Australie, elle compte quelque 30’000 habitants. Sa capitale Isangel se trouve sur la côte ouest et le plus haut sommet, avec 1084 mètres, est le Mont Tukosmera. Au sud de l’île, le volcan Yasur (Yasul pour la tradition), qui joue un rôle important dans le film, est le plus actif au monde. 

Le village de Yakel, à deux heures de marche de la capitale dans la chaîne de montagnes centrale, est l’un des rares de l’île qui aient choisi de conserver son mode vie complètement traditionnel, bien que ses habitants soient en contact avec le monde moderne. Ces tribus ont décidé de protéger et d’encourager les traditions ancestrales.

LP

L’autre côté de l’espoir

Réalisation : Aki Kaurismäki
Acteurs: Sakari Kuosmanen, Sherwan Haji

Ours d’argent du meilleur réalisateur au Festival de Berlin 2017

Le film

Solidarité. Fraternité. Humanité. C’est le programme de ce véritable plaidoyer pour les réfugié qu’est L’autre côté de l’espoir. L’histoire ? Une rencontre entre deux hommes à Helsinki : Wikström, un quinquagénaire qui quitte sa femme et son travail pour ouvrir son propre restaurant et Khaled, un jeune réfugié syrien qui tente d’obtenir l’asile politique.

« Comme dans Le Havre, on retrouve dans ce film le style unique du cinéaste finlandais : ton tragi-comique, plans souvent fixes, mise en scène épurée à l’extrême. Ce parti pris esthétique n’a qu’un seul but : mettre en avant les visages de ceux que la vie laisse de côté, éclairer des situations cocasses à la limite du burlesque, montrer des petites histoires qui disent bien plus que ce qu’elles ne laissent paraître. » (Le Temps)

Aki Kaurismäki, qui s’était déjà penché sur la question des migrants dans son précédent film Le Havre, questionne cette fois-ci des valeurs européennes bien fragiles. La Finlande semble loin d’une terre d’espoir dans la caméra du réalisateur…

« Avec L’autre côté de l’espoir, il dénonce la bureaucratie kafkaïenne et la politique migratoire européenne. Il fustige le racisme et le nationalisme incarnés dans le film par un groupe de skinheads un peu grossiers. Il s’agit d’éviter autant le misérabilisme que le militantisme affiché et, surtout, de donner une humanité, une réalité à ceux qui n’apparaissent souvent que comme des statistiques, ou des arguments électoraux. » (Le Temps)

Pourtant, le film a parfois des airs de comédie burlesque. Peut-on rire de tout ? Même de l’épineuse question des migrants ? Oui, répond avec malice Aki Kaurismäki qui maîtrise l’art du décalage. Il nous livre une leçon d’optimisme. Malgré le drame, il faut résister, semble-t-il dire. « Avec son art du décalage, sa maîtrise de l’image qui rend la grisaille et la monotonie irréelles, ses vieux rockers omniprésents et surtout son humour froid flirtant avec le non-sens, Aki Kaurismäki enchante d’un rien ses personnages. Ni Khaled ni Wikström ne se laissent abattre par l’absurdité administrative, la violence d’extrême droite qui les environne, leur douleur enfouie… Leur bonté profonde est d’autant plus réjouissante que le monde est déprimant. » (Le Monde)

 

Propos du réalisateur

«Je veux changer le monde, je vais essayer de changer l’Europe. J’essaie au moins pour les trois personnes qui verront ce film », plaisante-t-il.

« La création et le développement de nos préjugés en stéréotypes ont une sombre résonance dans l’histoire de l’Europe. », écrit-il dans une note d’intention. « L’autre côté de l’espoir est, je l’avoue volontiers, un film qui tend dans une certaine mesure et sans scrupule à influer sur l’opinion du spectateur et essaie de manipuler ses sentiments pour y parvenir. Cette tentative va naturellement échouer, mais il en reste, j’espère, un film intègre, un peu triste, porté par l’humour et un peu réaliste sur les destins de quelques hommes dans ce monde aujourd’hui. »

Le réalisateur

Facteur, plongeur de restaurant et critique de film avant de se lancer dans la réalisation cinématographique, Aki Kaurismäki réalise le documentaire The Saimaa Gesture, son premier film, en 1981. Une œuvre qu’il produit également, en collaboration avec son frère Mika. C’est le début d’une longue collaboration, qui pousse Aki et Mika Kaurismäki à réaliser et financer pas moins du cinquième de la production assurée en Finlande depuis le début des années 80. 

Aki Kaurismäki impose sa marque de fabrique dès Ariel (1988) : un mélange de comédie déjantée et de drame désespéré. Un mélange auquel le cinéaste ajoute le rêve américain avec Leningrad Cow-boys go America, avant de plonger dans la noirceur de La Fille aux allumettes (1989).

 Le début des années 90 voit le cinéaste s’exiler en Grande-Bretagne puis en France, où il réalise respectivement J’ai engagé un tueur (1990) et La Vie de bohème (1992). Un an plus tard, il donne une suite à Leningrad Cowboys Go America : Les Leningrad Cow-Boys rencontrent Moise

Retour à des sujets plus sérieux avec Tiens ton foulard, Tatiana(1994), et surtout avec Au loin s’en vont les nuages, Prix œcuménique au Festival de Cannes 1996. 1999 signe son détour par le cinéma quasi-expérimental avec Juha

Le succès de L’Homme sans passé, Grand prix et Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes en 2002, lui assure une consécration internationale. En 2006, il réalise Les Lumières du faubourg qui clôt « la trilogie des perdants » entamée avec Au loin s’en vont les nuages et L’Homme sans passé.
Après une participation dans le film collectif Chacun son cinéma (2007), il revient en France pour tourner Le Havre, Prix Louis-Delluc 2011, chronique sociale douce-amère sur le thème de l’immigration. L’autre côté de l’espoir est le deuxième volet de ce qui devait être une trilogie entamée avec Le Havre avant que le cinéaste annonce la fin de sa carrière de réalisateur.

PMP

Visages, Villages

Un film documentaire réalisé par Agnès Varda et JR

Le film

Agnès Varda et JR ont des points communs : passion et questionnement sur les images en général, et plus précisément sur les lieux et les dispositifs pour les montrer, les partager, les exposer. 

Agnès a choisi le cinéma.
JR a choisi de créer des galeries de photographies en plein air. 

Quand Agnès et JR se sont rencontrés en 2015, ils ont aussitôt eu envie de travailler ensemble, de tourner un film en France, loin des villes, en voyage avec le camion photographique (et magique) de JR. Hasard des rencontres ou projets préparés, ils sont allés vers les autres, les ont écoutés, photographiés, et parfois affichés.

Le film raconte aussi l’histoire de leur amitié qui a grandi au cours du tournage,
entre surprises et taquineries, en se riant de leurs différences.  

« Extrêmement joyeuse, rythmée par les clowneries des deux protagonistes, la promenade témoigne d’activités en voie de disparition, se nourrit de sagesse du quotidien. Elle révèle aussi les travers d’une société en mutation: les dockers sont en grève, le productivisme écorne les chèvres.

Le film s’ombre de mélancolie, car le temps passe et Agnès Varda, dont le regard a changé le monde, est en train de perdre la vue. Et elle se souvient de ceux qui ne sont plus, comme le photographe Guy Bourdin. Elle l’a photographié en 1954. JR transpose le cliché sur l’angle d’un bunker, sur la plage de Sainte-Marguerite-sur-Mer. Le travail est ardu, le temps presse, la marée monte. Après son passage, il ne reste rien. Coutumier de l’éphémère, JR semble un peu choqué ». (Antoine Duplan, Le Temps)

Les réalisateurs

Née à Ixelles, en Belgique, en 1928, Agnès Varda y passe sa petite enfance avec ses quatre frères et sœurs. Agnès Varda devient photographe de Jean Vilar à la création du festival d’Avignon en 1948, puis de la troupe du Théâtre National Populaire au Palais de Chaillot à Paris. La même année, Agnès Varda passe au cinéma sans aucune formation. Son premier long-métrage, La Pointe courte, lui vaudra le titre de « Grand-mère de la Nouvelle Vague ». Mariée avec le cinéaste Jacques Demy (disparu en 1990), elle a élevé avec lui Rosalie Varda-Demy, créatrice de costumes puis directrice artistique, et Mathieu Demy, comédien et réalisateur. 

JR est né en 1983 en région parisienne. Il vit et travaille entre Paris et New York. En 2001, il trouve un appareil photo et documente ses virées nocturnes dans le métro ou sur les toits de Paris pour les coller ensuite sur les murs des villes, genèse d’un long travail de photographie monumentale, toujours en noir et blanc. 

JR expose librement sur les murs du monde entier, il colle ses photographies dans l’espace public pour révéler les visages et les témoignages d’invisibles, des banlieues françaises à la Turquie, de Times Square au Panthéon, en passant par les ghettos du Kenya ou les favelas du Brésil. 

FB

Moi, Daniel Blake

Réalisation : Ken Loach
Acteurs: Dave Johns, Hayley Squires

Le film

Suite à un accident cardiaque, Daniel Blake est contraint à faire appel à l’aide sociale. Mais, alors que les médecins lui interdisent de travailler, il est déclaré apte au travail par une compagnie privée de recherche de fraudeurs aux allocations, et se voit donc privé de l’aide à laquelle il pensait avoir droit. Désormais au chômage, il se retrouve pris dans un engrenage administratif kafkaïen pour tenter de gagner de quoi subsister. C’est là qu’il rencontre Katie, mère de deux enfants, elle aussi au bord du gouffre. Tous deux vont tenter de s’entraider.

Notre avis

Selon Ken Loach et son scénariste Paul Laverty, le film est né de la colère face au dénigrement systématique mené par certains médias face aux bénéficiaires de l’aide sociale en Grande-Bretagne, et une administration inefficace maintenant les gens dans la pauvreté. Loach et Laverty ont d’ailleurs mené une longue enquête de terrain et recueilli nombre de témoignages pour préparer leur scénario. En résulte un film-choc, proche du documentaire, qui nous plonge au coeur d’un système impitoyable totalement dissocié des gens qu’il est censé servir. Ken Loach filme avec compassion et colère cette inexorable descente aux enfers de citoyens ordinaires broyés par une machine dont ils ne maîtrisent pas les rouages. Oeuvre militante dont on ne ressort pas indemne, I, Daniel Blake prône malgré tout l’humanité individuelle et l’esprit d’entraide comme moyens de résistance. 

Le réalisateur

Ken Loach est né en 1936. Après des études de droit et une courte carrière de comédien, il se lance dans la réalisation, d’abord pour la télévision puis pour le cinéma dans les années 1960. Il connaîtra un véritable succès surtout à partir des années 1990, avec des films comme Land and Freedom (1995), My Name is Joe (1998), Le Vent se lève (2006, Palme d’Or à Cannes), The Angels’ Share (2012). Il est l’un des plus grands représentants du cinéma social britannique. I, Daniel Blake a obtenu la Palme d’Or à Cannes en 2016 et le César 2017 du Meilleur film étranger.

AB

L’ordre divin

Réalisation : Petra Volpe
Acteurs: Marie Leuenberger, Max Simonischek, Rachel Braunschweig

Le film

Nora est une jeune mère au foyer. En 1971, elle vit avec son mari et ses deux fils dans un paisible village suisse où l’on a peu senti les bouleversements du mouvement de 68. Pourtant, la paix dans les chaumières et dans son foyer commence à vaciller quand Nora se lance dans le combat pour le suffrage féminin…

La réalisatrice

La scénariste et réalisatrice italo-suisse Petra Volpe est née en 1970 à Suhr, fille de l’union d’un immigré italien et d’une boulangère du coin. Elle a étudié à l’école de cinéma Babelsberg à Berlin. Pendant ses études, elle a écrit et réalisé plusieurs courts métrages. Elle a obtenu son diplôme en 2003 et travaille depuis comme scénariste et réalisatrice indépendante. Son premier film, Traumland, est sorti dans les salles suisses en 2014, après avoir conquis le public de nombreux festivals. Il a été nominé pour quatre Prix du cinéma suisse. Elle vit aujourd’hui entre Berlin et New York. L’ordre divin, primé lors des Prix du cinéma suisse et du Tribeca Film Festival de New York, s’annonce d’ores et déjà comme le grand succès du cinéma suisse de l’année.

La saga du suffrage féminin en Suisse

Les débuts de la lutte pour l’obtention du suffrage féminin remontent à la fin du XIXe siècle : l’Union suisse des ouvrières, fondée en 1890, s’y engagea dès 1893. Cette association organisa la première « Journée internationale de la Femme » en 1911. Les valeurs féministes prirent doucement forme, mais sans succès tangible. En Suisse, au lendemain de la Première Guerre mondiale, des groupes de femmes opposées au droit de vote se constituèrent. Issues la plupart du temps « des mêmes milieux que les partisanes (niveau social élevé, formation universitaire, solide assise économique), elles étaient souvent liées […] aux politiciens influents rejetant le suffrage féminin […]. Elles prônaient une séparation claire des tâches masculines et féminines dans la société.» (Dictionnaire historique de la Suisse / Suffrage féminin).

Dans une bonne partie de l’Europe, le droit de vote et d’éligibilité des femmes est un fait acquis dans la première partie du XXe siècle. Mais la Suisse, véritable bastion du conservatisme, poursuit son train-train feutré. Aux yeux de la majorité des Helvètes des deux sexes, arracher la femme à ses tâches de mère et d’épouse est synonyme de péché contre-nature, voire contre l’ordre divin des choses. Si la femme a du charme, quelques talents artistiques, elle s’en sort mieux. En principe, si elle n’a pu échanger son identité de « fille de » pour celle d’une épouse, elle vit sous la tutelle de son père. La liberté toute relative qu’elle a à sa majorité (20 ans) ne lui profite guère : elle n’a généralement aucune formation et ne peut prétendre à aucun revenu. Et même si une loi fédérale de 1882 accorde aux femmes non mariées le « droit intégral de jouissance et d’exercice des droits civils », la sujétion des femmes mariées aux maris va perdurer encore cent ans.

Les métiers féminins, moyens d’émancipation, sont encore rares. Si certaines femmes réussissent à conjuguer profession et ménage, elles doivent assumer généralement toutes les tâches domestiques en plus de leur activité extérieure. Les postes supérieurs sont réservés aux hommes, et à travail égal, les femmes gagnent moins que les hommes. 

Lorsque les Suisses doivent voter pour ou contre le suffrage féminin en février 1959, 67% des votants rejettent cette idée. Maigre consolation : trois cantons romands (Vaud, Neuchâtel et Genève) vont accorder le droit de vote aux femmes entre 1959 et 1960. Dans les autres cantons, le suffrage féminin se met en place entre 1959 et 1990 (Appenzell). 

La Suisse, un peuple d’arriérés ? Pas vraiment. Il fallait une double majorité (celle du peuple et celle des cantons) pour modifier la Constitution fédérale et inscrire le suffrage féminin dans le Code civil. Si cette décision avait dépendu seulement du Parlement, comme dans les autres démocraties européennes, elle aurait peut-être été prise plus tôt. Le 7 février 1971, les femmes obtiennent, sur le papier, l’égalité des droits civiques, 53 ans après l’Allemagne, 52 après l’Autriche, 27 ans après la France et 26 après l’Italie.

Les féministes triomphent, mais nombreuses sont encore, bien longtemps, les femmes qui se demandent à quoi va bien pouvoir leur servir ce droit nouvellement acquis. Les femmes ne peuvent, en effet, exercer une profession et ouvrir leur propre compte bancaire sans autorisation de la part de leur mari que depuis 1988. La Suisse s’est depuis lors rattrapée : elle est l’un des rares pays ayant possédé un gouvernement à majorité féminine (2010-2011), et a été dirigé par une femme à sept reprises depuis 1999 (Ruth Dreifuss 1999, Micheline Calmy-Rey 2007, Doris Leuthard 2010, Micheline Calmy-Rey 2011, Eveline Widmer-Schlumpf 2012, Simonetta Sommaruga 2015, Doris Leuthard 2017).

LP